Zina Hamzaoui, une femme plurielle, est sage-femme à Bruxelles, échographiste, sexologue clinicienne et thérapeute de couple. Elle est aussi maman de 3 enfants. Zina est très engagée auprès des femmes et des couples. Elle donne des conférences et diverses formations à travers la Belgique et la France. Dans son premier livre Chut, hchouma ! Confessions d’une sexologue musulmane (conaissance.be), elle démontre qu’il est possible de concilier une sexualité épanouie et une spiritualité assumée.
C’est entre deux consultations qu’elle nous fait l’honneur de répondre à nos questions. Ceci est le deuxième article d’une série qu’on espère sera utile au maximum de mamans. Vous trouverez le premier article ici (lien).
Parfois, l’homme peut être aussi très chamboulé par l’arrivée d’un enfant et peut se retrouver complètement bloqué au niveau sexuel. Pour une femme, on comprend facilement qu’elle puisse être bouleversée, un peu moins pour l’homme ! Quelles sont les raisons qui peuvent amener un homme à se désintéresser de la vie sexuelle après l’arrivée d’un enfant, voire à fuir la relation intime avec son épouse ?
Il y a le fameux syndrome de la Madone qui existe : c’est l’homme qui, parfois, n’arrive plus à désirer sa femme devenue mère. C’est une cause psychologique en relation avec le fait que certains hommes n’arrivent pas à jongler entre le couple conjugal et le couple parental.
Le blocage de l’homme peut avoir un lien avec la relation que ce dernier a avec sa propre mère, sur le fait qu’il va apprendre à distinguer son épouse dans ses deux rôles de mère et d’amante. On en vient aussi à un point important : est-ce que l’intimité a été maintenue pendant la grossesse ou pas ? En général, il est très rare que le désir s’arrête du jour au lendemain au sein d’un couple. Quand la vie sexuelle n’a jamais été arrêtée pendant la grossesse, le couple trouve plus facilement des solutions en post-partum.
Il faut voir aussi dans quelle mesure la femme peut entretenir cette situation de blocage. Dans certains cas, on peut avoir une femme très fuyante, qui se réfugie énormément dans la relation avec son bébé, au point où elle peut être très castratrice et violente psychiquement vis-à-vis de son mari au niveau de ses compétences en général. Dans ce cas, cette femme a probablement des choses à régler de son côté.
Parmi les explications, ça peut être aussi un homme qui n’arrive pas à trouver des moments où il peut désirer sa femme, car tout simplement il y a un bébé qui prend beaucoup trop de place (allaitement, co-dodo…). Les parents sont très isolés aujourd’hui : on vit tous dans des foyers séparés, on délègue très peu, les enfants ne sont presque jamais gardés par d’autres personnes. Le mari n’arrive pas à venir embrasser sa femme. Peu de moments d’intimité se créent.
Je conseille aux parents, même s’ils n’arrivent pas à faire garder leur bébé, de s’accorder du temps pour eux ensemble. ça peut être simplement d’aller se balader, avec le bébé en poussette ou en portage, main dans la main, de discuter, de se remémorer des moments agréables passés à deux, de s’accorder un petit resto. Les papas sont très demandeurs de ces moments simples. On a souvent à tort cette image que l’homme est plus centré sur le génital, qu’il ne pense qu’à ça… ce n’est pas vrai pour tous les hommes. Il y a des hommes qui sont beaucoup plus dans les câlins, qui ont besoin de tendresse et d’affection. Et le fait d’observer leur femme s’investir à 100% dans cette relation avec le bébé, les fait se sentir mis de côté en tant qu’homme, et cela peut venir couper leur désir.
Est-ce que ces hommes-là viennent te voir ? Comment les accompagnes-tu le cas échéant ?
Les hommes viennent rarement consulter directement avec ce problème. Soit c’est la femme qui consulte et qui va dire qu’il y a un problème dans l’intimité du couple : “il n’a jamais envie”. Soit c’est l’homme qui va venir en passant par le biais de la thérapie de couple. Et petit à petit, quand la confiance thérapeutique est installée, il va alors aborder cette notion de désir sexuel conflictuel.
En tant que sage-femme, j’ai la chance d’aller au domicile de mes patientes et par conséquent, on peut avoir le temps de parler de la question de la contraception, du fait qu’il faut prendre le temps et que le désir n’est pas forcèment spontané les premiers temps… Et s’ il y a vraiment un blocage à ce niveau, alors je conseille de consulter, soit en sexothérapie, soit en psychothérapie.
Ce sont des questions encore bien actuelles, pas si rares que ça.
Il faut garder à l’esprit que les hommes ont beaucoup plus de difficultés à venir consulter que les femmes, toutes communautés confondues ; il faut alors être vigilant à ne pas trop accentuer la situation et tirer des conclusions hâtives.
Parfois la femme insiste pour comprendre : “dis-moi ce qui se passe….”. Cette situation peut venir susciter des doutes chez elle. Il y a le fameux “ si tu ne me désires pas, alors tu en désires une autre”.
Aussi, des femmes qui vont commencer à être contrôlantes, qui vont fouiller dans les affaires…. ce qui risque de braquer un peu plus l’homme.
Est-ce que le manque de préparation pendant la grossesse, une méconnaissance de tous les changements que la femme va subir, peut provoquer, par conséquent, un choc chez certains hommes : ils ne reconnaissent plus leurs femmes, ils ne comprennent pas ce qui se passe ?
Oui, tout à fait, ça peut être un manque de préparation et de connaissances.
Je rajouterai qu’il peut s’agir aussi de papas qui ont assisté à des accouchements traumatisants. Je repense encore à un homme qui m’a dit “j’ai vu ma femme partir, j’ai cru la perdre pendant l’accouchement. Par conséquent, je ne me sens pas légitime de venir vers elle et lui faire savoir que j’ai envie d’elle sexuellement.” Il a eu très peur, il veut la protéger au maximum et il ne veut surtout pas être une source de mal-être ou de pression supplémentaire. Et il ajoute « je vais attendre qu’elle vienne vers moi ».
Et là aussi, il faut être vigilant, parce qu’on a souvent cette idée que c’est l’homme qui initie, et donc s’il ne vient pas en premier alors c’est qu’il ne veut pas. Il y a des hommes qui ont vu leur femme accomplir un miracle de la vie, qui savent que ça n’a pas été facile pour elles, qui se disent « ok, j’attends que ma femme revienne vers moi, et tant qu’elle ne revient pas, moi je la laisse tranquille ». Donc pour ces hommes, ce n’est pas un manque de désir mais une volonté de laisser le temps à leur femme.
Je repense à des patientes qui ont eu des complications périnéales importantes, des déchirures qui ont lâché, ou des périnées qui se sont infectés par la suite. Quand l’homme a conscience de tout ça, il peut se dire “jai pas forcément envie d’aller dans la zone génitale, mais je sais que si je vais commencer à embrasser ma femme, je sais que je vais avoir des envies d’aller plus loin…alors je ne tente même pas”.
On en revient à l’importance de discuter en couple dans ce cas : qu’est-ce qu’on fait si l’excitation est trop importante ?
Pour conclure, j’insisterai sur le fait qu’il faut vraiment comprendre que lorsqu’on commence à se poser des questions, il faut tout simplement discuter en couple et ne pas tirer des conclusions hâtives : « ça y est, il ne me désire pas. J’ai lu un truc sur le syndrome de la Madone, tu vois en fait si ça se trouve il me trompe … ». Peut-être que ton homme veut juste te donner le temps et attendre que tu sois vraiment prête.
Le post-partum est toujours l’occasion de discuter de sujets qui n’ont peut-être jamais été abordés malgré, parfois, plusieurs années de vie commune.